QUÉBEC Info
AUTOMNE 2004
Politique Économie Education International Société Culture **** MODERNISER L’ÉTAT
Le 4 juin 2003, le premier ministre Jean Charest ouvrait la 37e législature de l’Assemblée nationale et y prononçait son premier discours inaugural. Reprenant les grandes orientations du programme du Parti libéral du Québec qui venait d’accéder au pouvoir, le premier ministre se disait déterminé à réviser en profondeur le fonctionnement de l’État québécois de manière à favoriser les libertés individuelles et l’entrepreneurship. " Nous allons passer en revue l’ensemble des ministères, sociétés d’État, organismes publics et parapublics, ainsi que l’ensemble des programmes qu’ils administrent " précisait-il alors. Cette tâche a été confiée, pour l’essentiel, à la présidente du Conseil du trésor, Monique Jérôme-Forget. Il lui incombait de coordonner l’ensemble de ce que l’on appelait alors la " réingénierie de l’État ".
Depuis juin 2003, la présidente du Conseil du trésor prépare son plan d’action pour moderniser l’État. Des comités de modernisation de l’État ont été mis à contribution ainsi que tous les ministères ; des contrats ont été accordés à des centres de recherche et à des firmes privées pour préciser tel ou tel aspect de la modernisation ou pour fournir à l’État conseils et idées novatrices.
Le 5 mai 2004, Monique Jérôme-Forget rendait public son plan de modernisation intitulé Moderniser l’État. Il ne s’agit pas de réaliser une opération ponctuelle mais plutôt d’instaurer " une démarche continue " qui s’étalera sur plusieurs années et pourrait, dans certaines de ses composantes, devenir permanente. Il s’agit d’implanter " une véritable culture de réévaluation continue ". Dans Moderniser l’État, la présidente du Conseil du trésor écrit : " Le gouvernement a entrepris de construire un État (…) qui joue son rôle de façon efficace, tout en laissant la place à l’individu et à ses initiatives. Le gouvernement est convaincu qu’il est possible de construire un tel État en concentrant son action sur l’essentiel et en améliorant la qualité des services et la cohérence des programmes (…) tout en mettant fin à la spirale de l’endettement et à l’étouffement fiscal. "
Certaines mesures avaient déjà été annoncées : la transformation du ministère du Revenu en agence gouvernementale, l’Agence du revenu ; la création d’un guichet de services unique pour les citoyens et les entreprises, Services Québec ; la création d’une agence pour encadrer les partenariats publics-privés (les PPP) qui pourraient se multiplier à l’avenir. En effet, pour alléger le financement public et mieux répartir les risques, le gouvernement entend recourir aux PPP dans de nombreux cas : autoroutes et haltes routières, centres d’hébergement et de soins de longue durée, centres de détention, complexes culturels, etc. Le document Moderniser l’État précise ces mesures et en annonce plusieurs autres : réduction de 20 % de l’effectif de la fonction publique d’ici 10 ans, soit une diminution de 16 000 postes ; comme 32 000 employés de l’État prendront leur retraite au cours de cette période, il s’agira en fait de ne remplacer qu’un fonctionnaire sur deux ; révision de la pertinence et de la performance des 188 organismes publics à raison d’une soixantaine par année, etc.
Outre l’Agence du Revenu, Services Québec et l’Agence des PPP déjà mentionnés, deux autres agences seront créées : le Centre des services administratifs, qui regroupera les services des ressources humaines, matérielles, financières et informationnelles des ministères, et le Centre de contrôle environnemental, qui exercera plusieurs fonctions qui incombent actuellement au ministère de l’Environnement et plus particulièrement à ses bureaux régionaux.
Le domaine de la culture constitue un bon exemple des opérations à venir. Il s’agira de regrouper la Bibliothèque nationale et les Archives nationales, de créer un Bureau des musées nationaux et de les intégrer en réseau, de redéfinir le rôle et le mandat de Télé-Québec, d’alléger les programmes du ministère de la Culture en ramenant leur nombre de quarante à quatre : fonctionnement des organismes, projets structurants, immobilisations et ententes de partenariat.
Début juillet, la présidente du Conseil du trésor publiait la liste des 60 organismes qui seront soumis cette année à la réévaluation. Ce travail est confié à un comité d’experts présidé par Thomas Boudreau, une autorité reconnue pour avoir étudié, enseigné et pratiqué l’administration publique. Le rapport final et les recommandations du Comité sont attendus fin janvier 2005.
**** LA CARTE MUNICIPALE
Au cours des siècles, divers facteurs ont amené les villes à s'agrandir en annexant faubourgs et banlieues ; c'est ainsi que Lutèce est devenue Paris ou que la Nouvelle-Amsterdam est devenue New York. À de rares exceptions près (Monaco ou Singapour), les villes d'aujourd'hui ne sont pas des États mais des administrations municipales ; elles sont des créatures de l'État qui définit leurs pouvoirs et fixe leurs limites territoriales. Aux termes de la constitution canadienne, le monde municipal ne relève pas de l'État fédéral mais bien des États fédérés qui le composent et que l'on nomme aussi provinces. C'est donc l'État du Québec qui est responsable de déterminer la carte municipale à l’intérieur de ses frontières.
La Révolution tranquille, ce grand mouvement québécois de modernisation des années 60, avait curieusement négligé cet important secteur de la vie en société. Les fusions municipales ont été rares, à une grande exception près, celle de la ville de Laval qui jouxte Montréal au nord. Toutes les tentatives de moderniser la carte municipale se sont brisées sur les murs de fiefs irréductibles et n’ont pu vaincre l'esprit de clocher qu’y entretenaient les élus locaux. Il s'agissait donc d'un dossier politique des plus délicat et la réforme, pourtant jugée nécessaire depuis les années 60, était toujours remise à plus tard.
Fusions
À l'automne 2000, la ministre Louise Harel présentait à l'Assemblée Nationale le projet de Loi portant sur la réforme de l'organisation municipale. Malgré l'opposition du Parti libéral du Québec, qui constituait alors l'opposition officielle à l'Assemblée Nationale, la loi 170 fut adoptée le 20 décembre 2000. L'opération " fusions municipales " était lancée.
Le 2 janvier 2002, à la suite des travaux des comités de transition et des élections tenues selon la nouvelle carte, les nouvelles villes devenaient réalités. L'île de Montréal n'était plus morcelée en 28 municipalités mais constituait une seule grande ville, réalisant enfin le vœu du maire Jean Drapeau qui, dans les années 60, avait popularisé le slogan " Une île, une ville ". De même, la région de la Capitale nationale regroupait ses 13 municipalités en une seule ville, Québec. Sur la rive sud du Saint-Laurent, face à Québec, la nouvelle ville de Lévis succédait à dix municipalités distinctes et, face à Montréal, le nouveau Longueuil regroupait huit municipalités. Il en allait de même des villes des régions de Hull (devenue Gatineau), de Sherbrooke, de Chicoutimi (devenue Saguenay), de Trois-Rivières et de plusieurs autres de moindre importance. Au total, le 1er janvier 2002 le Québec comptait 160 municipalités de moins. L'administration municipale s'en trouvait simplifiée, les services pouvaient se développer de façon plus cohérente et le fardeau fiscal se répartissait de façon plus équitable. De plus, les grandes villes se trouvaient en meilleure position pour participer à la compétition internationale en matière économique.
Défusions
Cette vaste opération ne s’est pas faite sans opposition. Et au cours de la compagne électorale précédant les élections du 14 avril 2003, Jean Charest, chef du Parti libéral du Québec, a pris l’engagement de rouvrir ce dossier, s'il était porté au pouvoir, et de permettre aux villes récemment fusionnées de se " défusionner " si elles le voulaient ; il y voyait une question de respect de la démocratie. Porté au pouvoir et devenu premier ministre du Québec, Jean Charest confia aussitôt ce dossier au ministre des Affaires municipales, des Sports et du Loisir, Jean-Marc Fournier.
Les conditions
À l'automne 2002, l'Assemblée Nationale adoptait la Loi 9 qui précisait le processus pouvant conduire au démembrement des nouvelles villes ainsi que les conditions à respecter. Aux termes de la Loi 9, les villes " défusionnées " ne retrouveront qu'une partie des pouvoirs qu'elles détenaient avant les fusions. Elles feront obligatoirement partie d'un Conseil d'agglomération qui gèrera environ 50 % de l'ancienne assiette fiscale ; au sein de ce Conseil, la ville-centre aura prépondérance et pourra même exercer un droit de veto.
La première étape à franchir porte sur la signature d'un registre demandant un référendum. Pour qu'un référendum ait lieu, il faut que 10 % des personnes inscrites sur la liste électorale d'une ancienne municipalité signent le registre. La deuxième étape porte sur le référendum lui-même. Pour que la " défusion " ait lieu, il faut bien entendu que la majorité des votants se prononce en ce sens, mais il faut aussi que le nombre de votes favorables s'élève à au moins 35 % du nombre total d’électeurs inscrits. Le travail d’un Comité de transition constitue la troisième étape. Comme dans le cas des fusions, ce comité prépare le partage des biens et du personnel et définit les modalités de la nouvelle fiscalité d'agglomération. Viennent enfin les élections, quatrième étape du processus. Dans les villes ayant opté pour la " défusion ", il est prévu que des élections aient lieu à l'automne 2005, ce qui permettra aux nouvelles (ou anciennes) villes de commencer leur exercice le 1er janvier 2006.
Les résultats
Le 20 juin 2004, 89 référendums ont été tenus dans autant d'anciennes municipalités qui avaient été fusionnées le 1er janvier 2001. Près d'un million de Québécois étaient appelés à se prononcer sur l'avenir de leurs territoires respectifs. Vingt-neuf villes nouvelles risquaient de voir leurs limites se modifier une nouvelle fois et leur superficie se réduire.
Les résultats des référendums ont été graves pour Montréal et Longueuil, mais très limités pour Québec, pour Gatineau et pour quelques villes de plus petite taille. Neuf des nouvelles villes ayant tenu un référendum demeurent inchangées. Au total, sur les 89 référendums, 57 confirment la fusion tandis que 32 consacrent le choix de la " défusion ".
Montréal, la métropole, en sort affaiblie. La partie ouest de l'île de Montréal, principalement anglophone, a voté majoritairement en faveur de la " défusion ". Sur les 22 anciennes municipalités qui ont tenu un référendum, 15 redeviendront des villes. Longueuil, qui résultait de la fusion de six villes voisines, en perd quatre. Québec s'en tire beaucoup mieux, conservant 10 des 12 villes fusionnées ; seules les municipalités de Saint-Augustin et de l'Ancienne-Lorette ont choisi de faire cavaliers seuls.
En résumé, l'opération touchait 209 municipalités et 58 % de la population du Québec ; 209 registres ont donc été ouverts ; 89 municipalités, représentant 17% de la population, ont eu droit à un référendum et 32 d'entre elles, représentant 6 % de la population, retournent à leur ancienne ville. Si, au 1er janvier 2002, le Québec comptait 160 municipalités de moins, au 1er janvier 2006 il en comptera 32 de plus.
Dès le 21 juin, au lendemain des référendums, le processus s’engageait pour que les anciennes villes " gagnantes " retrouvent leur municipalité. Le ministre des Affaires municipales, Jean-Marc Fournier, annonçait la composition des six comités de transition les plus importants, ceux de Montréal, de Longueuil, de Québec, de Gatineau, de La Tuque et des Îles-de-la-Madeleine.
Réactions
Par la voix de son chef Mario Dumont, le Parti de l'Action Démocratique du Québec (ADQ) affirme se réjouir de l'effet limité des référendums - sauf dans la région de Montréal.
Le Parti Québécois (PQ) qui avait présidé aux fusions, se dit soulagé des résultats obtenus à l'extérieur de la région de Montréal. Son porte-parole en la matière, Diane Lemieux, déplore la division qui s'installe sur l'île de Montréal : " Des communautés se sont isolées ". Mais ailleurs, le fait que la majorité des villes fusionnées aient accepté leur situation constitue, selon elle, " un signe que cela avait du bon, (...) que c'était fait dans le sens du progrès du Québec ".
Le ministre Jean-Marc Fournier, quant à lui, reconnaît la division linguistique que consacre la " défusion " de l'ouest de l'île de Montréal, mais croit que cela permettra d'atténuer les tensions linguistiques.
Quant au chef du Parti Québécois, Bernard Landry, il souligne l'absence du premier ministre Charest du débat qui a précédé les référendums. Le premier ministre avait pourtant déclaré avoir un préjugé favorable à l’égard des grandes villes récemment créées mais, de dire Bernard Landry, " il n'était pas dans la bataille, il ne fournissait pas d'explication, il ne faisait rien pour aider Gérald Tremblay (le maire de Montréal). C'est une des raisons de l'échec ". Et Mario Dumont de renchérir : " Le premier ministre ne peut rester en retrait de ses propres réformes. "
Analyse
À la suite des référendums, la question de savoir si les résultats obtenus sur l'île de Montréal s'expliquent par le vote des anglophones et des citoyens riches a été longuement débattue. Une fois les " défusions " consommées, la ville de Montréal redessinée comptera quand même 87 % de la population contre 13 % seulement pour les quinze villes " défusionnées ". De plus, la valeur foncière de Montréal comptera pour 80 % du total. Montréal demeurera donc le poids lourd de l'île pour la population et la valeur foncière. Mais cela veut dire aussi, comme le faisaient remarquer les professeurs Pierre Drouilly et Alain-G. Gagnon, que 13 % des citoyens (les " défusionnés ") possèdent 20 % de la richesse foncière de l'île (Le Devoir, 2004-07-02).
Refusion?
La saga n’en est peut-être pas à son dernier chapitre. Déjà, des groupes de l'Ancienne-Lorette souhaitent remettre en question leur retrait de la grande ville de Québec. En effet, l'Ancienne-Lorette constitue désormais une enclave, entourée de tous côtés par la ville de Québec. Beaucoup de ceux qui ont voté pour le retrait de la grande ville comptaient que plusieurs autres municipalités feraient de même ; ce ne fut pas le cas. De plus, certains des pouvoirs dont disposaient les anciennes municipalités ne leur reviendront pas. À Saint-Augustin-de-Desmaures, le secteur Les Bocages représente environ 44 % de la population ; il est situé plus près de l'arrondissement Sainte-Foy/Sillery de la ville de Québec que du centre-ville de Saint-Augustin. Un mouvement s’y dessine pour revenir à Québec. À Montréal, le secteur Glenmount voudrait être annexé à la ville " défusionnée " de Mont-Royal.
Selon le ministre Jean-Marc Fournier, la " refusion " d’une ville " défusionnée " est possible, mais il faut que le processus de " défusion " est d’abord été mené à son terme.
Enfin, les tenants des " défusions " pourraient bien s’en prendre à la loi 9 et tenter d’obtenir qu'elle soit modifiée pour permettre aux villes " défusionnées " de retrouver les pouvoirs qu'elles avaient précédemment. Certains avaient annoncé, bien avant les référendums, qu'ils entreprendraient cette lutte, que ce soit par des moyens politiques ou en recourrant aux tribunaux. Que nous réserve le prochain épisode ?
**** LES ÉLECTIONS FÉDÉRALES
Le premier ministre du Canada, Paul Martin, aurait pu attendre jusqu'en novembre 2005 avant de déclencher des élections ; le successeur de Jean Chrétien avait été choisi comme chef du Parti libéral du Canada (PLC) et était devenu premier ministre par voie de succession en décembre 2003 (QUÉBEC Info, Vol. 10, No 2). Toutefois, il aspirait à gagner lui-même une élection et affermir ainsi son autorité et sa légitimité. De plus, l'opposition de droite, précédemment divisée entre le Parti progressiste-conservateur et l'Alliance canadienne, venait de se regrouper au sein du nouveau Parti conservateur du Canada (PCC) ; lui accorder plus de temps pour s'organiser risquait de le rendre plus fort pour affronter le PLC. Ce dernier était déjà affaibli par l'usure du pouvoir, miné par de multiples scandales et déchiré par le fait que Paul Martin voulait se démarquer à tout prix de son prédécesseur. Sans compter que les sondages qui leur avaient été très favorables à l'automne 2003 révélaient désormais une baisse de popularité des libéraux. Le 23 mai, Paul Martin annonçait donc la tenue d’élections générales le 28 juin.
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Au moment de sa dissolution, le Parlement d'Ottawa comptait 168 députés libéraux (PLC), 73 conservateurs (PCC), 33 bloquistes (Bloc Québécois - BQ), 14 néo-démocrates (Nouveau Parti démocratique - NPD) et 9 députés indépendants. Le découpage électoral adopté récemment ayant ajouté 7 circonscriptions, il y avait au total 308 sièges à pourvoir et pour obtenir la majorité absolue, un parti devait faire élire au moins 155 députés.
La campagne électorale
Comme l'issue de la consultation étant difficile à prévoir, la campagne électorale fut très animée. Aurait-on un gouvernement majoritaire? Assez rapidement il apparut que ce ne serait pas le cas. Aurait-on un gouvernement minoritaire libéral? Cela semblait assez probable, mais les conservateurs dirigés par Stephen Harper avaient le vent dans les voiles. Les néo-démocrates quant à eux comptaient bien faire des gains significatifs. Au Québec, plus affecté que les autres provinces par les excès du pouvoir libéral à Ottawa, le Bloc Québécois était assuré d'enlever des sièges aux libéraux.
Il y eut en fait deux campagnes électorales. Au Québec, seuls le Parti libéral du Canada et le Bloc Québécois s'affrontaient vraiment. Dans le reste du Canada, où le Bloc Québécois était évidemment absent, trois partis principaux s'affrontaient : le Parti libéral du Canada au centre, le Parti conservateur du Canada à droite et le Nouveau Parti démocratique à gauche.
À la veille des élections, les sondages annonçaient une quasi-égalité entre le Parti libéral et le Parti conservateur : 32,6 % des intentions de vote allaient au PLC, 31,8 % au PCC ; cela ne s'est pas avéré. Au Québec, en revanche, les sondages voyaient juste en accordant 51 % des intentions de vote au Bloc et 28 % au Parti libéral.
Les résultats
Le Parti libéral du Canada est arrivé en tête, mais sans obtenir la majorité absolue ; il devra donc former un gouvernement minoritaire. Dans l'ensemble du Canada, les électeurs ont donné 135 sièges au PLC (37 % des voix), 99 sièges au PCC (30 %), 54 sièges au Bloc(12,5 %) et 19 sièges au NPD (15,5 %) ; un indépendant proche du Parti conservateur a été élu en Colombie-Britannique.
Faits à noter
Le débat télévisé des quatre chefs des principaux partis a eu lieu le 13 juin en français et le lendemain en anglais ; pour la première fois de l'histoire, les quatre chefs pouvaient s’exprimer eux-mêmes en français, sans l'aide de traducteurs.
Le Parti Vert a, pour la première fois, récolté un peu plus de 2 % des voix, ce qui lui permet de recevoir l'allocation de 1,75 $ par vote obtenu ; cette allocation est accordée aux partis politiques qui ont obtenu au moins 2 % des votes.
Le Québec a élu un député d'origine africaine, Maka Kotto, et un autre d'origine autochtone, Bernard Cleary, tous deux sous la bannière du Bloc Québécois.
Le slogan de campagne du Bloc Québécois : " Un parti propre au Québec " a été salué comme un coup de maître. La formule rappelait que le Bloc n'existe qu'au Québec mais elle évoquait en même temps les scandales qui avaient éclaboussé le Parti libéral.
Le taux de participation des 22,7 millions d'électeurs inscrits a été de 60,5 % ; il avait été de 61 % aux élections de 2000. On observe donc une légère baisse en dépit de l'intérêt de cette campagne peu commune.
Le nouveau parlement compte 56 femmes (18 % de l'ensemble), 6 de moins qu'aux élections de 2000. Pour sa part, la députation venue du Québec compte 20 femmes, soit 30 % de ses 75 députés.
Le Conseil des ministres
Le 20 juillet 2004, le premier ministre Paul Martin faisait connaître la composition de son gouvernement minoritaire et les ministres étaient assermentés. En incluant le premier ministre Martin, élu à Montréal, huit députés du Québec accèdent au Conseil des ministres ; seize ministres proviennent de l'Ontario, sept de l'Ouest et six des Maritimes.
Les priorités du gouvernement, affirmées par Paul Martin tout au long de la campagne électorale, sont : la santé, les garderies et les municipalités. Curieusement, il s'agit de trois domaines qui, selon la Constitution du Canada, ne relèvent pas du gouvernement fédéral mais des provinces.
D'autres dossiers retiendront également l'attention du Parlement fédéral. Le programme des commandites, à l'origine des scandales, en est un ; toute la lumière n’a pas été faite sur le partage des responsabilités, plusieurs causes sont devant les tribunaux et une commission d'enquête vient tout juste de commencer ses travaux. La participation du Canada au bouclier anti-missile que le gouvernement américain veut déployer dans l'espace est un autre dossier chaud qui suscitera sans aucun doute des débats passionnés.
**** MODE DE SCRUTIN
Le ministre délégué à la Réforme des institutions démocratiques, Jacques Dupuis, a été chargé par le premier ministre Jean Charest de mettre en œuvre un des engagements du Parti libéral du Québec ; il s’agit essentiellement d’introduire un élément de proportionnelle dans le mode de scrutin actuel qui consiste en un vote uninominal à un tour.
À son arrivée au pouvoir au printemps 2003, le gouvernement libéral avait prévu qu’un projet de loi modifiant le mode de scrutin serait déposé au printemps 2004, mais le calendrier a été modifié. Au début de juin, peu avant la fin de la session de printemps à l’Assemblée nationale, le ministre Jacques Dupuis a annoncé que son projet était reporté à la session d’automne et qu’il ne s’agirait d’abord que d’un avant-projet de loi. Consultations et débats sont donc à l’ordre du jour pour plusieurs mois encore ; afin d’assurer le plus large consensus possible, le Parti Québécois demande même qu’une fois le projet adopté par l’Assemblée nationale, il soit entériné par un référendum. L’important, c’est de faire adopter un nouveau mode de scrutin avant les prochaines élections, qui devraient lieu en 2007, pour qu’il soit en vigueur dans les élections subséquentes.
Dès février 2004, le ministre Jacques Dupuis avait fait connaître les grandes lignes de son projet. Des 125 députés de l’Assemblée nationale - le nombre actuel resterait inchangé -, 75 seraient élus dans autant de circonscriptions par un vote uninominal à un tour ; il n’y aurait donc plus 125 circonscriptions comme c’est le cas maintenant, mais 75 seulement, comme aux élections fédérales. Cinquante sièges dits " compensatoires " seraient attribués à la proportionnelle. Dix grandes régions, regroupant de 5 à 7 circonscriptions, se verraient attribuer chacune de 3 à 5 sièges compensatoires partagés entre les partis en proportion du nombre de votes obtenus dans la région. Pour combler ces postes, la liste de chaque parti serait constituée des candidats défaits ayant obtenu les meilleurs résultats. Enfin, pour avoir droit à des sièges compensatoires, un parti devrait avoir obtenu au moins 5 % du vote.
Ce projet comporte des aspects originaux par rapport aux systèmes proportionnels en vigueur dans plusieurs pays. Partout où elle existe, la proportionnelle implique, semble-t-il, un second tour et les sièges compensatoires sont attribués selon des listes distinctes de celles de l’élection par circonscription. Le processus envisagé au Québec serait donc plus simple et tous ceux qui obtiendraient un siège auraient été soumis à l’épreuve de l’élection. Il reste à voir si ces dispositions seront adoptées telles quelles.
**** OPTION CITOYENNE
Le 18 mai 2004, Françoise David, connue internationalement depuis la Marche mondiale des femmes de l’an 2000, lançait le mouvement Option citoyenne dont l’objectif est de regrouper les forces de la gauche québécoise. Au cours de l’été, elle a parcouru les régions du Québec afin de présenter son manifeste, de préciser ses intentions et de recruter des membres.
Les positions du mouvement Option citoyenne ont été publiées sous le titre Bien commun recherché; une option citoyenne (Écosociété). Le mouvement se présente comme féministe (aux prochaines élections à l’Assemblée nationale, 50% des candidats du Parti seraient des femmes), écologiste et altermondialiste. Il veut instaurer une société plus juste et plus égalitaire. L’idéal de la souveraineté du Québec s’inscrit en filigrane dans le manifeste, mais ce sont surtout les questions sociales qui retiennent l’attention d’Option citoyenne. Le mouvement exprime un scepticisme certain à l’égard du Parti Québécois et se livre à une critique radicale du Parti libéral du Québec et du gouvernement issu des dernières élections.
Il est prévu que l’Option citoyenne, l’Union des Forces progressistes et le Parti vert se fondent au sein d’un nouveau parti politique de gauche auquel les Québécois pourront adhérer en 2005. Ce projet de regrouper les forces de gauche n’est pas le premier et les groupes désireux de s’unir comptent actuellement peu de membres. Option citoyenne comptait environ 200 membres en mai, 500 à la mi-juillet et 800 en septembre. De son côté, l’Union des Forces progressistes en comptait 2 500 et on peut penser que le Parti Vert n’en avait guère plus. C’est dire qu’un vigoureux effort de recrutement va s’imposer à cette nouvelle famille politique.
**** Eric KIERANS (1914-2004)
Eric Kierans est décédé le 10 mai 2004 ; il avait 90 ans. Au cours de à ce qu’il est convenu d’appeler la " Révolution tranquille ", il a été le porte-parole principal de la communauté anglophone du Québec. Eric Kierans était né dans un quartier populaire de Montréal en 1914 ; ses parents appartenaient au monde ouvrier. Après des études en économie à l’Université McGill, il se lança dans les affaires, achetant à bon prix des entreprises qui périclitaient pour les remettre sur la voie du profit. En 1960, il devint président de la Bourse de Montréal. Il y fit preuve d’un grand dynamisme et changea la vision de cette institution qui vivait jusque-là en marge de la société francophone du Québec.
En 1963, le premier ministre Jean Lesage, cherchant à recruter une personnalité du monde anglophone québécois, fit appel à Eric Kierans. Celui-ci fut élu à l’Assemblée législative en septembre 1963, cependant que Jean Lesage en avait déjà fait son ministre du Revenu ; en 1965, il lui confiera le portefeuille de la Santé. Après la défaite du gouvernement Lesage en juin 1966, il fut réélu député, mais remit sa démission à la fin de mai 1968 ; entre-temps, il était devenu président de la Fédération libérale du Québec. C’est sous sa présidence que le Parti libéral se vit amputé par la création du Mouvement Souveraineté Association, devenu par la suite le Parti Québécois. Eric Kierans posa sans succès sa candidature à la direction du Parti libéral fédéral, mais fut élu député à la Chambre des communes du Canada. Dans le cabinet Trudeau (1968-1971), il fut successivement ministre des Postes et ministre des Communications ; aux élections de 1972, il ne sollicita pas de nouveau mandat. Il termina sa carrière comme conseiller des gouvernements manitobain et néo-écossais et comme professeur à l’Université McGill. Il a publié ses mémoires, Remembering (Stoddart) et deux biographies lui ont été consacrées.