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HIVER 2004

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POLITIQUE

****SESSION PARLEMENTAIRE D’AUTOMNE

En juin 2003, l’Assemblée nationale du Québec s’était brièvement réunie pour entendre le discours inaugural du nouveau Premier ministre Jean Charest et pour adopter le budget 2003-2004.  La nouvelle session parlementaire s’est ouverte le 21 octobre pour se terminer aux petites heures du 17 décembre 2003.  Le parti gouvernemental avait imposé la procédure dite " du bâillon " pour forcer l’adoption rapide de huit projets de loi.  Cette procédure n’est pas nouvelle; elle permet à la majorité de suspendre les règles habituelles de l’Assemblée nationale, de limiter la durée des débats et de faire adopter les projets qu’elle estime urgents avant que la session ne prenne fin.

Mais quelle urgence y avait-il à modifier le Code du travail pour faciliter aux entreprises le recours à la sous-traitance (Loi 31), à transformer les régies régionales de la santé en réseaux locaux de services (Loi 25), à ramener à un maximum de trois le nombre de syndicats accrédités dans les hôpitaux (Loi 30), à interdire la syndicalisation des personnes assurant, en milieu familial, des services de garderie ou d’hébergement de personnes malades ou handicapées (Lois 7 et 8) ou encore à remplacer les conseils de développement régionaux par des instances ne comportant que des élus municipaux (Loi 34)? Ces projets de loi suscitaient beaucoup d’opposition dans les syndicats, les régions et la population en général; une plus large consultation et des  discussions approfondies s’imposaient.  Le gouvernement n’a pas réussi à justifier l’urgence de ces projets; aux critiques qui s’élevaient de toute part, il s’est contenté de répondre que tous ces projets faisaient partie du programme grâce auquel il avait été élu en avril 2003.

Un autre projet de loi, qui allait cette fois à l’encontre des promesses faites par le Parti libéral avant les élections et qui portait les frais de garderie de 5 à 7 $ par jour (Loi 32), a été justifié par la situation budgétaire difficile dans laquelle se trouve le gouvernement.  Celui-ci a réitéré néanmoins sa promesse de réduire les impôts des contribuables d’un milliard de dollars en 2004.

Enfin un projet de loi portait sur le processus qui pourra conduire à l’annulation des fusions municipales réalisées en 2002 (Loi 9).

La manière de faire du nouveau gouvernement a visiblement mécontenté beaucoup de citoyens.  Leur réaction se comprend d’autant plus facilement qu’avant même que soient octroyées d’éventuelles baisses d’impôt, plusieurs hausses de tarifs ont été décidées.  On a déjà mentionné le cas des frais de garderie.  Il en va de même de l’impôt sur le revenu : le gouvernement a réduit l’indexation de la table d’impôt, ce qui a pour effet de hausser de 140 millions de dollars le fardeau fiscal des citoyens.  De plus, les contributions au Régime d’assurance médicaments et les tarifs d’électricité ont connu des hausses substantielles, sans parler de la hausse de la taxe sur le tabac qui n’a suscité, pour sa part, que peu de protestations.

Comme les observateurs l’avaient prévu, l’automne politique a été chaud; l’année qui commence le sera tout autant.  Parmi bien d’autres, deux dossiers sont à suivre de près : celui des fusions municipales et celui des négociations de l’État avec ses salariés.


****CONSEIL DE LA FÉDÉRATION

Après la victoire électorale du Parti libéral du Québec au printemps 2003, le premier ministre Jean Charest avait lancé l’idée d’un Conseil de la fédération.  Ce Conseil, regroupant les premiers ministres des provinces et des territoires du Canada, aurait pour mission première de définir une position commune face au pouvoir central de la Confédération canadienne.  L’idée a reçu un accord de principe à la 44e rencontre annuelle des premiers ministres tenue à Charlottetown du 9 au 11 juillet 2003; cet accord a été confirmé à la réunion de Québec, les 23 et 24 octobre, et  les premiers ministres ont signé l’entente fondatrice le 7 décembre 2003, à Charlottetown.

Le nouveau Conseil de la fédération,  -  tel est en effet son nom même si les autorités fédérales en sont absentes,  -  remplace la conférence annuelle des premiers ministres en vigueur depuis le début des années 1960.  La proposition des conférences annuelles avait été lancée elle aussi par le premier ministre québécois de l’époque, Jean Lesage.

Le nouvel organisme aura une structure légère.  Constitué des premiers ministres, il disposera d’un secrétariat permanent basé à Ottawa et non à Québec comme on l’avait d’abord envisagé.  Il tiendra deux réunions par année.  La présidence en sera assurée par chacun des premiers ministres, à tour de rôle, et le mandat du président sera d’un an.  C’est en 2009 que le premier ministre du Québec devrait présider le Conseil.  Des crédits de l’ordre de sept millions de dollars seront alloués à l’organisme; chaque gouvernement y contribuera au prorata de sa population.

La création du Conseil de la fédération constitue un succès pour le gouvernement de Jean Charest puisque la proposition venait de lui; un succès qui profitera, affirme-t-il, aussi bien au Canada qu’au Québec.  Mais le premier ministre tient quand même à ce que les Québécois voient dans son gouvernement le défenseur des positions constitutionnelles du Québec.  Le 4 décembre, le ministre de l’Éducation, Pierre Reid, a dénoncé l’éventuelle création d’un ministère fédéral de l’Éducation; le même jour, le premier ministre rappelait que les " gouvernements ne sont pas subordonnés, dans une fédération,  à un autre niveau de gouvernement";  précédemment, Benoît Pelletier, ministre des Affaires intergouvernementales, s’en était pris au pouvoir de dépenser de l’État central ainsi qu’à l’éventualité de conférences tripartites réunissant le gouvernement fédéral, les gouvernements des provinces et les administrations municipales; ces dernières en effet relèvent exclusivement des provinces.  Le gouvernement Charest se dit prêt à accepter l’argent que le gouvernement central met à la disposition du Québec, mais à la condition que la Constitution soit respectée.

L’avenir seul dira si le Conseil de la fédération connaîtra plus de succès que les Conférences annuelles qui l’ont précédé.  À Ottawa, si les ministres du gouvernement fédéral et les députés de la majorité ont été avares de commentaires, les élus du Bloc québécois ont exprimé de nombreuses réserves.  À Québec, le Parti québécois, qui constitue l’opposition officielle à l’Assemblée nationale, l’a critiqué, de même que l’ancien chef du Parti libéral du Québec, Claude Ryan, qui trouve l’idée peu réaliste.


****HAUSSE DES FRAIS DE GARDERIES

Le Québec a créé un réseau de centres de la petite enfance (CPE) destinés aux enfants de moins de quatre ans.  Ces centres à but non lucratif sont subventionnés pour qu’ils offrent  des places à un taux réduit, fixé depuis 1997 à 5 $ par jour.  Le conseil d’administration d’un CPE est composé majoritairement de parents.  Actuellement quelque 165 000 places sont disponibles dans près de 1000 CPE.  Les enfants de cinq ans et plus disposent de garderies en milieu scolaire; celles-ci accueillent environ 170 000 enfants et le tarif est également de 5 $ par jour.  Il existe enfin des garderies privées, la plupart à but lucratif, mais elles sont peu nombreuses.

Au cours de la campagne électorale qui l’a porté au pouvoir le 14 avril 2003, le Parti libéral du Québec avait pris l’engagement ferme de maintenir à 5 $ les frais quotidiens des services de garde.  Cela n’a pas empêché le ministre de l’Emploi, de la Famille et de l’Enfance, Claude Béchard, d’annoncer en novembre dernier une hausse de 40% en portant de 5 à 7 $ le tarif des places en CPE; la raison invoquée était que l’État manquait d’argent.  Par la même occasion, le ministre informait le public que la contribution parentale serait désormais indexée chaque année.  La hausse à 7 $ a pris effet le premier janvier 2004 dans les CPE.  Quant aux garderies scolaires, elles appliqueront la même augmentation de tarif à partir de la rentrée scolaire de septembre 2004.  Selon le ministre de l’Éducation, Pierre Reid, la hausse de 2 $ imposée aux parents permettra d’améliorer les services de soutien aux élèves en difficulté des niveaux primaire et secondaire.

Le gouvernement maintient l’objectif fixé par l’administration précédente de porter à 200 000 le nombre de places à contribution réduite. Afin de combler le déficit actuel de 12 000 places, il entend attribuer plus de places à tarif réduit aux garderies à but lucratif.

La décision du gouvernement de hausser à 7 $ les frais de garde a provoqué une véritable levée de boucliers; les groupes populaires, les syndicats, les conseils d’administration des CPE et les parents ont opposé des protestations vigoureuses à cette mesure, mais elles n’ont eu aucun effet.


****MOTARDS CRIMINALISÉS ET MÉGAPROCÈS

Au cours des années 90, une " guerre des motards " a fait rage au Québec.  Déclenchée par les Hells Angells, elle opposa plusieurs gangs criminalisés, principalement dans la région de Montréal, et causa quelque 160 morts, surtout dans les rangs mêmes des gangsters.

Plusieurs corps policiers ont collaboré à une vaste opération, appelée Printemps 2001, qui leur permit d’arrêter des dizaines de motards criminalisés, parmi lesquels figuraient plusieurs des dirigeants.  Ils doivent maintenant faire face à la justice et sont accusés, selon les cas, de meurtre, de complot pour meurtre, de trafic de drogue, de gangstérisme, etc.

Se prévalant de la loi canadienne sur le gangstérisme, la justice québécoise a décidé de juger plusieurs criminels en même temps en réunissant les accusés en quelques groupes; cela a donné lieu à ce que l’on a appelé les mégaprocès.  En novembre 2002, au cours d’un premier procès, six accusés plaidaient coupables et écopaient de peines allant de trois à onze ans.  Le procès des dix autres accusés de ce premier groupe est toujours en cours devant le juge Pierre Bilodeau.

Un autre groupe de douze accusés subissait son procès devant le juge Réjean Paul depuis près d’un an lorsque, le 11 septembre 2003, neuf d’entre eux, parmi les têtes dirigeantes, décidèrent de plaider coupables à des accusations réduites de complot pour meurtre, trafic de drogue et gangstérisme.  Ils ont reçu des sentences variant de 15 à 20 années de prison.  Pour les trois autres accusés, le procès devra être repris. Enfin, six autres accusés sont toujours en attente de leur procès, notamment le chef des Hells Angels, Maurice Boucher.

Incident juridique
Ces mégaprocès constituent une première dans les annales juridiques au Québec et même au Canada.  L’opération a été ardue : le choix des juges, la sélection des jurés, les nombreux points de droit soulevés, les requêtes de toutes sortes ont parsemé d’embûches le déroulement des procès; un juge a démissionné en cours de procès et même la rémunération des avocats de la défense était source de difficultés.

Le procès présidé par le juge Réjean Paul et tenu devant jury a risqué de déraper au moment où le procureur, Maître André Vincent, a annoncé qu’il avait conclu, avec les avocats de la défense, une entente menant à des aveux de culpabilité de la part de neuf accusés.  Le procureur du ministère de la Justice et les avocats des accusés avaient convenu de recommander au juge des sentences allant de 15 à 20 ans de prison.  Le sous-ministre associé, Mario Bilodeau, supérieur du procureur André Vincent, a alors avisé ce dernier que le ministre de la Justice et procureur général Marc Bellemare était insatisfait des sentences négociées.  Les avocats de la défense ont aussitôt présenté à la cour une requête en arrêt des procédures.  Fort heureusement, Maître Vincent a pu expliquer au ministre les tenants et aboutissants de ce mégaprocès; le ministre a donc donné son accord et a exprimé sa satisfaction devant le résultat obtenu; pour sa part, le sous-ministre associé a été muté à un autre poste.

Un ministre éprouvé
Cet incident signifiait-il un bris de confiance entre le ministre et la haute direction de son ministère?  La question soulevée s’est posée avec plus d’acuité encore lorsque a été révélé un événement survenu au lendemain de la nomination du ministre Bellemare le 29 avril 2003.  Les autorités policières de la Ville de Québec avaient alors informé le sous-ministre de la Justice, Michel Bouchard, que la fille du ministre aurait pu entretenir des liens avec le milieu criminalisé; aucune accusation ne pesait cependant contre elle, son nom ayant seulement été mentionné dans un rapport de police.

Le ministre Bellemare avait pris aussitôt les dispositions nécessaires pour ne pas se trouver en conflit d’intérêt : il avait informé le premier ministre et confié à son sous-ministre l’entière responsabilité du traitement de tout dossier relatif aux enquêtes policières pouvant impliquer sa fille ou toute personne de son entourage et de sa famille.

Plusieurs juristes éminents, dont le bâtonnier du Québec, Pierre Gagnon, ont témoigné à la fois du sérieux de la situation dans laquelle le ministre se trouvait et du fait que les mesures prises étaient tout à fait adéquates.  C’est aussi l’avis du professeur Yves Boisvert, directeur du Laboratoire d’éthique publique qui juge que la démarche du ministre était tout à fait correcte.  Il décèle toutefois une faille dans ce dossier : les révélations concernant la fille du ministre n’ont pu être transmises aux médias que par une personne haut-placée du ministère de la Justice puisqu’il s’agissait d’une information confidentielle que seul ce ministère pouvait détenir; cela ne manque pas de conforter le soupçon de bris de confiance.


****PRODUCTION PORCINE : MORATOIRE

Le gouvernement du Québec a prolongé d’un an, soit jusqu’au 15 décembre 2004, le moratoire imposé l’an dernier sur toute nouvelle exploitation porcine au Québec.  Ce moratoire avait été décrété par le ministre de l’Environnement du temps, André Boisclair, à la suite de nombreuses plaintes des communautés locales et de critiques émanant de groupes préoccupés par la qualité de l’environnement.  La course à la productivité a favorisé la généralisation de la pratique du lisier liquide; avec la multiplication des exploitations, plusieurs régions ont des excédents importants de rejets en phosphore et en azote, avec les nombreux inconvénients que cela entraîne : odeurs, contamination des eaux de surface et des nappes phréatiques, déboisement sauvage pour accroître les surfaces d’épandage, etc.

En prolongeant le moratoire, le ministre de l’Environnement, Thomas Mulcair, s’accorde le temps nécessaire pour " mettre en place un plan d’action complet " afin d’assurer " une production porcine durable dans le respect de l’environnement et le souci d’une cohabitation harmonieuse ".  Sa décision fait suite au mémoire que le Bureau des audiences publiques en environnement (BAPE) avait déposé au ministre le 15 septembre 2003.  Intitulé L’Inscription de la production porcine dans le développement durable, le rapport du BAPE compte quelque 850 pages en deux tomes : L’état de la situation porcine au Québec et Les préoccupations et les propositions de la population au regard de la production porcine

Les commissaires ont pris acte de la détérioration croissante, et parfois alarmante, du milieu agricole en raison des importants surplus de lisier.  Ils ont recommandé de geler la production porcine à son niveau actuel jusqu’à ce que le gouvernement exerce un contrôle sur ses conséquences sociales et environnementales en prenant un ensemble de nouvelles mesures.  Ils proposent notamment l’élaboration d’un processus d’analyse et d’évaluation environnementales des effets écologiques et sociaux de tout nouveau projet de production porcine, la révision de la loi sur le droit de produire afin de lever l’immunité dont jouissent les producteurs de porcs et le retour aux municipalités régionales du pouvoir de réglementer la production agricole sur leur territoire.  La commission suggère par ailleurs de remplacer les programmes d’assurance-stabilisation, qui accordent des subsides calculés sur le nombre d’animaux, par un régime de protection du revenu agricole limité aux groupes d’au plus quatre personnes, de manière à favoriser les entreprises familiales.
 
Le gouvernement entend procéder rapidement à l’adoption des mesures réglementaires proposées par le BAPE, ce qui lui permettrait de lever le moratoire au début de 2005.


****REMOUS DANS LES SERVICES DE SANTÉ

Fin novembre 2003, le réseau québécois des services de santé a connu des soubresauts pour le moins dramatiques.  Un scandale a éclaté le 24 novembre lorsque les médias ont publié un enregistrement remontant au printemps 2003 et réalisé subrepticement par les parents d’une patiente de l’Hôpital Saint-Charles-Borromée à Montréal.  Dans les extraits rendus publics, deux préposés aux soins tenaient à l’endroit de la patiente des propos menaçants, sur un ton vulgaire et méprisant.  Mis au fait de la conduite de ces deux personnes, le directeur de l’établissement, Léon Lafleur, s’était limité à les suspendre pendant trois jours et à inscrire un avis au dossier d’une troisième.

Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Philippe Couillard, a réagi la journée même de cette révélation; il a ordonné une enquête dont les résultats devaient lui parvenir dans les douze jours.  L’opinion publique s’est émue de son côté : éditorialistes, lecteurs des quotidiens, participants aux lignes ouvertes et porte-parole des malades ont dénoncé tour à tour la mauvaise conduite des préposés et la timide réaction des gestionnaires de l’Hôpital.

Deux jours plus tard, le directeur général de l’hôpital, Léon Lafleur, se donnait la mort.  Le docteur Lafleur jouissait pourtant d’une excellente réputation, tant parmi ses collègues qu’auprès des patients de l’Hôpital.  Avant de se suicider, il avait rédigé une lettre au journal Le Devoir dans laquelle il reconnaissait son erreur tout en déplorant l’attitude du ministre à son endroit et le peu d’appui que reçoivent les gestionnaires; il stigmatisait par ailleurs le comportement des médias.  Cet acte désespéré a eu pour effets d’amener le ministre à promettre plus de soutien moral aux gestionnaires du réseau de la santé et d’obliger les médias à s’interroger sur leurs façons de faire.  Les funérailles du directeur général, en présence du ministre Couillard, furent l’occasion d’un appel à l’apaisement et à la réconciliation.

Après avoir pris connaissance des conclusions du rapport d’enquête, le ministre a mis l’Hôpital Saint-Charles-Borromée sous tutelle pour une période d’au moins 120 jours.  Les enquêteurs reprochaient au personnel des comportements tels que " familiarités irrespectueuses, ignorance intentionnelle, brusqueries, isolement ou contentions abusives ".  En annonçant sa décision, le ministre a indiqué également que dès janvier 2004 des équipes volantes effectueraient à l’improviste des visites de contrôle dans les établissements