QUÉBEC Info
PRINTEMPS-ÉTÉ 2004
Politique Économie Education International Société Culture ****LE GOUVERNEMENT CHAREST
Au cours des 4 premiers mois de l'année 2004, le gouvernement du Québec, prenant acte de son impopularité, a changé sa stratégie. Certaines des mesures annoncées ont été remises à plus tard et le gouvernement s’est mis en mode d'écoute : il consultera tout au long de l'année. L'action la plus marquante du gouvernement cet hiver aura été le dépôt du budget 2004-2005 par le ministre Yves Séguin.
Le contexte
Jusqu'en décembre 2003, le premier ministre Charest répondait à ceux qui lui reprochaient de ne pas tenir certaines de ses promesses que la faute en incombait à la situation financière difficile de l’État. Et à ceux qui lui reprochaient de prendre des décisions impopulaires, il répondait qu'il s'agissait d’engagements pour la réalisation desquels il avait été élu.
Mais l'opposition aux politiques du gouvernement ne faiblissait pas et les sondages confirmaient l'un après l'autre son impopularité. Selon un sondage réalisé entre le 14 et le 18 janvier 2004 par la firme Léger Marketing, 63 % des Québécois estimaient que les actions du gouvernement Charest n’étaient pas conformes au mandat qu'il avait reçu des électeurs en avril 2003. Et si des élections avaient eu lieu au moment de ce sondage, le Parti libéral du Québec (PLQ) aurait été défait puisque 35 % seulement des électeurs se disaient prêts à voter pour lui.
Depuis janvier 2004, la consultation figure de nouveau à l'ordre du jour. Mais c'est d'abord le budget du ministre des Finances, Yves Séguin, qui a retenu l'attention.
Le budget 2004-2005
Présenté le 30 mars 2004, le budget qui court du 1er avril au 31 mars 2005 constitue le premier véritable budget du ministre Yves Séguin. Le budget précédent avait été présenté le 12 juin 2003, à peine deux mois après l'arrivée au pouvoir de Jean Charest à la tête du Parti libéral du Québec ; il s'agissait alors d'un budget de transition. Cette fois, il s'agit bien d'un budget Séguin +. Et bien que coincé entre une situation financière difficile et des promesses électorales faites depuis la publication du programme du PLQ en septembre 2002, le ministre des Finances a réussi à proposer des mesures sociales qui ouvrent la voie au plan de lutte contre la pauvreté ; ce dernier a d’ailleurs été présenté début avril.
Le budget 2004-2005 s'élève à 53,8 milliards de dollars. Il prévoit une augmentation de 4,3 % des revenus et limite à 2,9 % la hausse des dépenses. Tel qu’il est présenté, le budget est équilibré, ne prévoyant ni déficit ni surplus. Mais pour qu’il en soit ainsi, le ministre Séquin doit compter sur 880 millions qui proviendront de la vente de certains éléments de l'actif québécois, par exemple des actions qu'Hydro-Québec détient dans Gaz Métro, des immeubles, etc.
Le budget 2004-2005 annonce l'enveloppe budgétaire dévolue à chaque ministère et à plusieurs programmes particuliers, mais l'affectation plus détaillée de ces budgets est annoncée par chaque ministre à l’occasion des commissions parlementaires dites de défense des crédits ; ces commissions font suite au dépôt du budget.
Les commissions parlementaires ont commencé leurs travaux le 27 avril et ont duré trois semaines plutôt que les deux semaines habituellement réservées à cette fin. L'Assemblée Nationale, qui ne siège pas durant la tenue de ces commissions, ne semble pas avoir souffert de ce prolongement car le menu législatif de cette année est plutôt mince. Quelques projets de loi déjà annoncés ont été reportés, comme celui qui doit créer un ordre professionnel des enseignants ; les enseignants y sont d'ailleurs vivement opposés. Il en va de même du projet de loi fort contesté et de plus en plus dilué qui devrait amender le régime d'assurance automobile et d'indemnisation des victimes sans égard à la faute.
En santé, la hausse des dépenses est de 5,1 % (près de un milliard) pour un total de 20,1 milliards. La promesse d'augmenter le budget de la santé de 2,2 milliards par année ne se réalise donc pas. Le milliard annoncé servira surtout à couvrir la hausse du coût des médicaments (323 millions), la hausse du coût de système des établissements de santé (220 millions) et à alléger les déficits de ces derniers (100 millions), etc. Le montant consacré aux améliorations proprement dites n’est donc pas très élevé.
En éducation, la hausse est de 2,7 %, soit de 309 millions. Compte tenu de l'inflation B qui demeure toutefois très faible B et de l'augmentation des coûts de système, il s'agit pratiquement d'un budget sans coupure ni augmentation. Les droits de scolarité des étudiants universitaires ne seront pas augmentés ; le premier ministre Charest s'était engagé en effet à ne pas les hausser au cours de son présent mandat. Mais le ministre de l'Éducation, Pierre Reid, a annoncé une importante modification au Régime d’aide financière aux études : le gouvernement consacrera à ce régime 63 millions de moins que l'an dernier, les prêts seront augmentés et les bourses - non remboursables - seront réduites. Les étudiants des collèges et des universités qui ont besoin d'aide devront donc s'endetter davantage. Pour tempérer la rigueur de ces changements, le ministre Reid annonce qu'il mettra en place un système de remboursement qui tiendra compte chaque année du revenu du diplômé.
Le projet de Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale a été rendu public par le ministre de l'Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille Claude Béchard le 3 avril 2004. Trois mesures principales y ont été annoncées : soutien aux enfants, prime au travail et logements sociaux.
Soutien aux enfants Les allocations familiales et les crédits d'impôt pour enfants seront remplacés, à partir de janvier 2005, par une allocation de soutien aux enfants versée quatre fois l'an aux parents. Ce sont surtout les familles à revenus modestes qui profiteront de cette mesure. Ainsi, un couple qui a deux enfants et qui ne gagne pas plus que 42 800 $ recevra 3 000 $. Au-delà d'un revenu de 42 800 $, le montant du chèque diminuera progressivement jusqu'à atteindre un plancher annuel de 1 063 $, soit le montant actuel du crédit d'impôt pour enfant.
Prime au travail Une prime au travail sera accordée aux travailleurs à faible revenu à partir de janvier 2005. Le montant accordé variera selon la composition de la famille et le revenu du travailleur. À titre d'exemple, un maximum annuel de 2 800 $ sera octroyé à un couple avec enfants dont le revenu de travail s'élève à 14 800 $, montant qui équivaut au salaire minimum. Cette prime au travail remplace le programme APPORT (Aide aux parents pour leurs revenus de travail) qui offrait un montant annuel d'environ 1 000 $ et qui ne bénéficiait qu’à 30 000 familles environ. La nouvelle prime au travail aidera, prévoit-on, 536 000 ménages.
Logements sociaux Au cours des trois prochaines années, le gouvernement consacrera 256 millions de plus à la construction de nouveaux logements à loyer modique ; cela devrait permettre de construire 16 000 logements, Le plan précédent en prévoyait 13 000.
Avant de prendre le pouvoir, le PLQ avait promis d'offrir les médicaments gratuits aux assistés sociaux et aux personnes âgées démunies. La politique de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale ne prévoit rien à cet égard, mais une Politique du médicament est annoncée pour plus tard.
Comme le gouvernement Charest veut se montrer beaucoup moins interventionniste que le précédent, on ne se surprendra pas du fait que les annonces dans le secteur économique ne soient pas spectaculaires. Les PME dont le chiffre d'affaires est de moins d'un million de dollars sont exemptées de la taxe sur le capital ; précédemment, la limite était de 600 000 $. La Société générale de financement (SGF) ne recevra plus de fonds du gouvernement. Pour assurer son fonctionnement et procéder à de nouveaux investissements, elle devra vendre des actifs. Un Fonds d'intervention économique régional (FIER) est créé et doté de 300 millions de dollars ; 200 proviennent du gouvernement et 100 de partenaires appartenant aux milieux syndicaux et coopératifs. Enfin, des améliorations sont apportées aux programmes de création d'emplois des régions ressources.
L'impôt
Aux dernières élections, l'une des promesses les plus médiatisées du PLQ portait sur le régime fiscal. Un gouvernement dirigé par Jean Charest devait réduire chaque année les impôts des particuliers d'un milliard de dollars, soit 5 milliards en cinq ans. Qu'est-il advenu de cette promesse dans le budget 2004-2005? Le ministre des Finances Yves Séguin consacre à cette question un cahier spécial intitulé Réduction d'impôt. Il y affirme que le gouvernement prend diverses mesures ayant pour effet de retourner un milliard de dollars aux contribuables sur une période de douze mois. Toutefois ces mesures ne s'appliqueront qu’à partir du premier janvier 2005 ; dès lors, un quart seulement du montant relève du budget 2004-2005, soit 250 millions. De plus, l'essentiel de ce montant est constitué de versements aux familles, aux travailleurs et aux démunis, dans le cadre du programme de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale. La baisse annuelle d'impôt n'est finalement que de 220 millions et elle est largement due à une simplification des formulaires de déclaration d'impôt des particuliers.
Forums et démembrements
C'est le 11 mars 2004 que le premier ministre Charest annonçait officiellement la tenue de 19 forums régionaux, entre la mi-mai et la mi-septembre ; ces consultations prépareront la rencontre nationale prévue pour l'automne 2004, à Québec. L’énoncé Briller parmi les meilleurs, rendu public le 11 mars, servira de document de base aux sommets régionaux. Chacun disposera d'une journée pour traiter les quatre thèmes retenus : la santé et les services sociaux ; l'éducation, la formation et l'emploi ; la famille et le développement social ; le développement économique, régional et durable.
Le premier ministre avait déjà évoqué le 8 février ces forums destinés à permettre aux Québécois de " faire ensemble un constat sur la réalité québécoise " ; il soulignait alors deux problèmes particuliers à analyser : l'évolution démographique et la situation fiscale (dette et niveau des impôts). Mais, prévient le premier ministre, " on ne ralentit rien, on n'arrête rien, (...) On garde le cap sur ce qu'on a proposé ". Ce qui n’a pas manqué de soulever beaucoup de méfiance à l'égard de l'utilité-même de la démarche proposée. L'opposition officielle participera à ces forums en dépit de son scepticisme, mais les syndicats et les groupes sociaux hésitent beaucoup à s'y présenter ; certains ont déjà décidé de les boycotter.
Entre-temps, c'est la politique municipale qui retient l'attention des résidents de la plupart des villes du Québec qui ont été fusionnées en janvier 2002. La Loi 9, adoptée à l'automne 2003, autorise un processus qui, après signature de registres et réalisation de référendums, peut conduire à l'annulation de ces fusions ; on parle désormais du démembrement des nouvelles villes.
Les études préalables à la tenue de ces référendums ont été rendues publiques par le ministre des Affaires municipales, Jean-Marc Fournier, le 21 avril 2004. Elles montrent que les villes qui décideront de se retirer de la " ville fusionnée " devront, dans la grande majorité des cas, faire face à des hausses de taxes importantes et, comme le stipule la Loi 9, elles ne retrouveront qu'une partie des prérogatives qu'elles détenaient autrefois. Entre le 16 et le 20 mai, les citoyens des villes concernées pouvaient signer les registres municipaux pour réclamer des référendums, lesquels étaient prévus pour se tenir le 20 juin.
****OTTAWA : LE SCANDALE DES COMMANDITES
À l’automne 2003, le premier ministre du Canada, Jean Chrétien, a démissionné après 40 ans de vie politique et 10 années à titre de premier ministre. Il quittait un peu plus tôt qu’il l’aurait souhaité, poussé semble-t-il par son propre parti, le Parti libéral du Canada, qui souhaitait un changement, par son ancien ministre des Finances, Paul Martin, pressé de lui succéder, et par une odeur de scandale de plus en plus gênante. Paul Martin est donc devenu premier ministre en décembre 2003. Il a voulu aussitôt prendre ses distances par rapport aux pratiques de son prédécesseur. Il a donc renforcé les mesures de contrôle et aboli le programme des commandites, principal foyer de scandale.
Le Rapport de la vérificatrice générale du Canada, Sheila Fraser, sur l’examen du programme fédéral des commandites a été présenté à Ottawa le 10 février 2004. Il fait suite à un premier document déposé le 8 mai 2002 qui constatait déjà de nombreuses irrégularités. Le rapport de février est dévastateur. " Nos constatations sur la gestion du Programme des commandites (...) " dit la vérificatrice générale, " sont extrêmement troublantes. La plus inquiétante est le non-respect généralisé des règles de passation des contrats (...) On a négligé ou violé les règles à toutes les étapes du processus... " Les firmes de communications Groupaction et Groupe Everest sont particulièrement visées dans ce réquisitoire.
À la suite de ce rapport, Paul Martin a voulu montrer que les choses avaient changé. Des personnalités reliées au programme des commandites sont congédiées, au gouvernement : l’Ambassadeur du Canada au Danemark et ancien ministre des Travaux publics, Alfonso Gagliano; le président de la Banque de développement du Canada, Michel Vennat et dans les sociétés d’État : le président du conseil d’administration de Via Rail et ancien chef de cabinet de Jean Chrétien, Jean Pelletier; le président et chef de la direction de Via Rail, Marc LeFrançois. Des poursuites sont intentées contre Jean Brault, président-fondateur de Groupaction et Charles Guité, fonctionnaire à la retraite naguère responsable du programme des commandites. Des enquêtes administratives, parlementaires, policières sont lancées. Car le scandale est d’ordre financier : des centaines de millions de dollars sont en cause, d’ordre administratif : " les règles... violées " et d’ordre politique.
Le scandale politique est double. Qui, au plus haut niveau de l’État, a autorisé ces pratiques ou les a tolérées? Le premier ministre Martin lui-même a affirmé qu’il " est impossible de croire qu’il n’y a pas eu une direction politique " ; l’opposition quant à elle demande " comment le premier ministre (qui était alors ministre des Finances du gouvernement Chrétien) peut-il oser dire (...) qu’il ne le savait pas? " De plus, et c’est l’autre volet du scandale politique, ce programme des commandites a été conçu pour influencer le résultat du référendum de 1995 sur la souveraineté du Québec. Il s’agissait d’un programme secret du gouvernement fédéral qui a déversé des millions de dollars sur le Québec en violation des dispositions de la loi encadrant les référendums ; ce programme a donc pu fausser le processus démocratique.
Le rapport de la vérificatrice générale et le scandale qu’il décrit alimentent le débat qui précède les élections fédérales. Paul Martin, premier ministre non élu souhaite obtenir un mandat des électeurs et bénéficier ainsi d’une pleine légitimité, mais pourra-t-il survivre au scandale?
****DÉMISSION DU MINISTRE MARC BELLEMARE
Marc Bellemare, ministre de la Justice et Procureur général du Québec depuis le 29 avril 2003, a remis sa démission au Premier ministre Jean Charest le 27 avril 2004.
En entrant en politique, Marc Bellemarre s’était donné pour objectif de faire modifier le régime d’assurance automobile qui indemnise les victimes d’accidents de la route sans égard à la faute ; il voulait en particulier que les victimes d’un accident de la route puissent poursuivre le chauffeur reconnu criminellement responsable de l’accident. Il entendait par ailleurs réformer la justice administrative jugée trop lente, inefficace et inéquitable. Mais, après un an d’exercice du pouvoir, l’homme politique conclut que ces dossiers ont peu de chance d’aboutir et démissionne à la fois de ses postes de ministre et de député pour retourner à la pratique du droit.
Le Premier ministre Charest a aussitôt nommé Jacques Dupuis ministre de la Justice et Procureur général. À ces responsabilités, s’ajoute celle de leader du gouvernement à l’Assemblée Nationale.